PETITE HISTOIRE ILLUSTRÉE DU SYNDICALISME ENSEIGNANT

 

 

 

Textes et dessins de Philippe GUILLEN

"Quiconque ne rattache pas le problème scolaire ou plutôt le problème d’éducation à l'ensemble du problème social se condamne à des efforts ou à des rêves stériles" disait Jean Jaurès. Pourtant, malgré ce qui l'en coûte à l'auteur des lignes qui suivent, le présent article ne survolera qu'un petit aspect d'un bien vaste sujet. Parler des enseignants, de leurs syndicats, sans évoquer l'histoire de l'École et plus généralement des mutations sociales a été un crève-coeur.

 

1. A la conquête d'un droit:

A l'origine, on trouve des sociétés de secours mutuels dont les préoccupations sont principalement d'ordre pédagogique, l'action revendicatrice est prudemment écartée. Il est vrai, les enseignants d'alors sont souvent isolés dans leurs petites écoles communales (la France est rurale) et soumis à la tutelle hiérarchique des inspecteurs, à l'étroit contrôle des politiciens locaux (des maires qui les logent des députés qui interviennent dans leur carrière: "les recommandations"...). Surtout, la circulaire du Ministère de l' Instruction publique Eugène Spüller (1887) leur interdit de constituer des syndicats alors même que les autres salariés -sauf fonctionnaires- viennent d'arracher ce droit (loi de mars 1884 dite Walkeck-Rousseau).

 

Durant les premières années de la IIIe République ce sont donc, les amicales d'instituteurs, associations gentillettes sous contrôle des inspecteurs, qui se développent rapidement et se regroupent même en une Fédération Nationale. On y discute laïcité, défense de la République mais on se garde bien d'agir pour l'amélioration des conditions de vie et de travail. En 1903, ces amicales comptent 90 000 membres (il y a alors 120 000 instituteurs). Elles auront longtemps de nombreux adhérents d'autant qu'autorisées par la loi sur les associations (1901), elles ne menacent en rien le pouvoir, qui les surveille et parfois les utilise comme force d'appoint dans sa campagne contre la réaction catholique. Jusqu' à ce que soit adoptée la loi de 1905, de séparation de l 'Église et de l' État.

 

Corporatistes, ces amicales irritent les partisans d 'un authentique syndicalisme, proches de la classe ouvrière et prêts à descendre dans la rue. En 1904, bravant l 'interdiction, défiant la tutelle hiérarchique, quelques enseignants varois fondent un premier syndicat qui sera à l'origine, un an plus tard , de la constitution de la Fédération Nationale des Instituteurs et Institutrices (FNSI). En 1905 ,le 25 novembre, ces instituteurs rebelles osent même publier un Manifeste au contenu clair et révélateur: ils annoncent qu'ils vont rejoindre la CGT. C'est chose faite en 1907: la FNSI adhère à la Confédération ouvrière. Il y a 100 ans!

 

Cependant ce ralliement ne touche qu'une très petite minorité, les enseignants syndicalistes-révolutionnaires. La répression va être rude: la même année, Marius Nègre (1870-1952) est révoqué par le gouvernement Clémenceau. La CGT proteste et soutient les instituteurs syndicalistes alors que leurs collègues des amicales restent silencieux. Avant la 1er guerre, l'antimilitarisme monte dans les  rang de la FNSI qui peine à rassembler et ne compte que 1500 adhérents en 1910. Les coups les plus durs portés par le pouvoir lui sont bien sûr destinés, mais cela ne ramène pas les instituteurs vers un amicalisme en perte de vitesse. La loi de Séparation, le syndicalisme naissant qui obtient quelques  succès (en 1910, les institutrices arrachent, les premières, le droit au congé de maternité; M.Nègre est réintégré en 1911..), lui ont enlevé sa raison d'être.

 

 

2. Comme dans le mouvement ouvrier:

Le clivage syndicalisme-révolutionnaire/syndicalisme réformiste:

En 1919, la FNSI devient Fédération des Maîtres de l'Enseignement Laïque (FMEL) mais reste minoritaire alors que les anciens amicalistes, bien plus nombreux -c'est plus facile! - fondent en 1920, le Syndicat National des Instituteurs (d'abord SN puis SNI). Le SNI qui compte 55 000 adhérents à sa fondation (1 instituteur sur 2) rejoint la CGT réformiste 5 ans plus tard.

 

Il faut le préciser: en France comme ailleurs, en pleine guerre et après la Révolution Russe d'octobre 1917, les divergences entre révolutionnaires-internationalistes et réformistes secouent fortement les formations politiques se réclamant du socialisme. En décembre 1920, lors du congrès de Tours, la SFIO éclate: les majoritaires forment le PCF ou SFIC (Section Française de l'Internationale Communiste) tandis qu'autour de Léon Blum, une petite minorité continue le Parti Socialiste SFIO. La CGT aussi est secouée et il y a scission. Les enseignants les plus combatifs, affiliés à la FMEL souvent, rejoignent la CGT-U (pour Unitaire) tandis que le SNI, majoritaire et encore marqué par la tradition amicaliste, participe à la création de la Fédération Générale de l'Enseignement (FGE) dans la CGT réformiste dite Confédérée. Les empoignades sont rudes entre les 2 organisations concurrentes d'enseignants comme dans les colonnes de leurs revues respectives: "École émancipée" (née en 1910) contre "École libératrice" (1928).

 

Parallèlement, les professeurs du secondaire- beaucoup moins nombreux, leur recrutement est aussi beaucoup moins populaire- qui pouvaient jusque-là adhérer à titre individuel soit à la CGT-U soit à la CGT confédérée fondent, à l'intérieur de la  première une Fédération ouverte à tous les enseignants de tous les degrés (parmi eux Jean Bruhat, G.Cogniot, fondateurs de "l'Université Syndicaliste") et dans la seconde, un syndicat national du second degré.

 

Les enseignants s'organisent donc, ils sont déterminés. L'État qui a de plus en plus de mal à maintenir l'interdiction doit se résoudre à leur accorder le droit syndical ainsi qu'aux autres fonctionnaires. C'est fait le 25 septembre 1924, sous le gouvernement du "Cartel des gauches" (Camille Chautemps ministre de l'Intérieur). La syndicalisation croit et une circulaire du Ministre de l'Instruction publique (20 juin 1925) le constate qui finit par inaugurer pour le primaire un système de "cogestion de fait" entre syndicat (le SNI) et administration pour nominations, promotions... Les actions se multiplient: contre Herriot qui envisage de passer l'âge de la retraite des instituteurs de 55 à 60 ans; contre "Gastounet" Doumergue qui le premier traite les enseignants de "nantis" et "budgetivores"; contre Laval et ses décrets-lois...

 

Tous profitent du nouveau droit syndical quelque soit leur orientation et surtout lorsqu'ils sont hostiles à la CGT-U. Ainsi naît le Syndicat National des Professeurs de Lycées, dit apolitique, corporatiste et majoritaire dans le second degré, qui lance le 1er mot d'ordre"d'abstention" au baccalauréat (1927) et obtient qu'une rémunération soit versée pour les services faits à cette occasion. De leur côté, les professeurs et instituteurs chrétiens ayant rejoint la CFTC (née en 1919) fondent aussi leur syndicat professionnel: 1936, c'est la naissance du SGEN (Syndicat Général de l'Éducation Nationale).

3. Et on reparle du Front Populaire :

 

1934-1936 encore: face au danger fasciste l'heure est à la réunification syndicale, et ce sera le Congrès confédéral de Toulouse. Pourtant la fusion réussie de la CGT et CGT-U qui entraîne celle de la FGE (qui reste) et de la FMEL (qui disparaît donc) ne calmera le jeu qu'en apparence. Car non seulement les oppositions continuent entre cégétistes réformistes et syndicalistes-révolutionnaires (gauchistes dirait-on aujourd'hui) mais elles se sont complexifiées avec l'entrée en scène, depuis 1920, d'un courant révolutionnaire, mais plus proche du PCF que le précédent. Malgré tout, la gauche unie l'emporte aux législatives de 36 et sous la pression ouvrière, les grèves, le gouvernement de Front Populaire mené par L. Blum entreprend de nombreuses réformes. Mais les divergences (sur la non-intervention en Espagne...) conduisent à l'échec de cette formidable expérience, à de nouvelles scissions et exclusions...

Et la guerre approche...

 

1937 est année de naissance du Syndicat des professeurs de l'enseignement secondaire (SPES, futur SNES) qui rejoint au sein de la CGT réunifiée, le Syndicat de l'enseignement technique (SNET) fondé un an avant, elle est surtout l'année de l'éclatement du Front populaire; de son échec. La situation internationale se dégrade aussi: avec la poussée du fascisme, la passivité-complicité des démocraties, c'est la montée des tensions et la guerre qui éclate en 1939. La Résistance va ressouder les militants ouvriers, communistes et réformistes, qui dans la clandestinité vont réorganiser et réunifier encore leur Confédération syndicale.

 

Mais avant, et pour qui veut comprendre le syndicalisme enseignant au sein de la CGT notamment, il faut maintenant évoquer la mise en place laborieuse du système de formation professionnelle des jeunes à l'intérieur - exception française- de l'Éducation Nationale publique. De nouvelles institutions apparaissent lentement qui font naître un tout nouveau groupe d'enseignants, d'abord issus de la classe ouvrière (quand ils enseignent les disciplines professionnelles)et au sein duquel se recruteront les militants les plus déterminés du syndicalisme CGT-FGE, ancêtre de la FEN, et plus tard.... 

 

 

4. Le bon Diderot le disait avant 1789 :

« le grief de la Noblesse contre l’école se réduit peut-être à dire qu’un paysan qui sait lire est plus malaisé à opprimer qu’un autre »

 

Jusqu'à la Révolution de 89, et même après, seuls les riches envoient leurs enfants à l'École, au Collège. Pour les autres, c'est le travail! Dans cette France agricole et rurale, à fort taux d'analphabètes, la formation aux métiers elle-même ne concerne qu'un nombre très restreint de jeunes: quelques citadins employés des petits ateliers artisanaux. La formation, limitée aux gestes, est toute entière assurée par le système de l'apprentissage (à l'intérieur des Corporations, jusqu'à ce que la loi Le Chapelier les interdise - 1791). Les jeunes qui apprennent les techniques de leurs aînés compagnons, au sein même de l'atelier, espèrent devenir compagnons à leur tour, après de longues années de travail.

 

Aux XVIII° et XIX° siècles, avec l'apparition de la mécanisation (Révolution Industrielle), l'atelier artisanal est concurrencé par l'usine, les entreprises changent et leurs besoins en main-d’œuvre aussi. Les gros industriels cherchent, les 1ers, à former leurs jeunes salariés ... à la machine; certains créent même des Écoles de fabrique à l'intérieur de leurs usines. Pour ces patrons il ne s'agit que de former les travailleurs à des savoir-faire techniques et dans leurs écoles privées l'enseignement général est réduit au minimum: lire une ou deux notices ... savoir quelques prières peut-être. 

 

A.Thiers -politicien bourgeois, massacreur d'ouvriers- déclarait dès 1848 : " Qui sait lire et écrire s'éloigne du travail des champs! ...Je le dis et je soutiens que l'enseignement primaire ne doit pas être mis à la portée de tous. J'irai même jusqu'à dire que l'instruction est suivant moi un commencement de l'aisance et que l'aisance n'est pas réservée à tous..."

 

Les communards de 1871 (Varlin, Vaillant...), pour qui la formation doit être émancipatrice, créeront les 1eres écoles professionnelles gratuites pour filles et fils du peuple avec, ce coup-ci, enseignement général. Mais leur expérience sera hélas trop brève (72 jours). Leur idée progressiste d'"enseignement intégral" public va donc rester en plan, bien que, quelques années plus tard, les syndicats renaissants, les Bourses du Travail (nées en 1887 ), ouvrent des cours dans leurs locaux. Pourtant les élèves, des adultes, sont peu nombreux qui osent entrer dans la maison syndicale et surtout, qui veulent bien prendre sur leur tout petit temps de repos après le travail. Quelques municipalités développeront aussi des cours professionnels, très peu. Si Jules Ferry et la III° République cherchent bien à scolariser massivement les plus jeunes dans les écoles primaires laïques, obligatoires et gratuites, rien n'est fait pour leurs aînés. Il faudra attendre longtemps encore pour que l'État s'intéresse enfin à la question: 1880-81, création de quelques Écoles Primaires Supérieures (EPS, en quelque sorte ancêtres de nos Lycées Techniques) destinées, en fait, à former des cadres d'ateliers ou, 1919: adoption de la loi Astier....C'est que la France qui s'industrialise manque maintenant d'ouvriers qualifiés que réclame le patronat. Quant aux militants syndicaux, encore marqués par les idées proudhoniennes et l'apprentissage artisanal, ils se méfient de la main mise de l'État sur l'enseignement et préfèrent le formateur-ouvrier plutôt que de confier leurs fils après l'école primaire à un enseignant fonctionnaire qui ne peut être, à leurs yeux, qu'un embourgeoisé.

 

Dans les années 30, les industriels sont de plus en plus demandeurs d'une main-d’œuvre qualifiée. Il y a bien quelques efforts. Le Front populaire (Jean Zay, ministre) prolonge la durée de la scolarité à 14 ans, mais avec un souci autre: celui de l'élévation du niveau de formation pour tous. C'est sous le gouvernement Pétain -Eh oui ! -, pendant occupation et collaboration, que naît finalement l’enseignement technique de masse souhaité par le patronat avec le développement des Centres de formation professionnelle (septembre 1939). Les 900 établissements accueillent 56 000 élèves. Devenus Centres d'Apprentissage par décret de 1944, ils fonctionnent si bien qu'ils sont conservés après la Libération et que leur existence est à nouveau validée en 1949, année où  ils reçoivent 100 000 jeunes. Ils deviendront Collèges d'Enseignement Technique en 1959 (les CET de l'enseignement "court") et ce sera leur  "age d'or": les besoins en ouvriers qualifiés sont grands en ces "30 glorieuses" économiques. Après 1979 - ils ont alors 610 000élèves- nommés Lycées Professionnels, ils accueillent des jeunes du CAP, parfois de la 3°, jusqu'au BAC PRO (né en 1985). 

 

Entre temps, les enseignants de ces établissements ont changé de statut. Leur mode de recrutement s'est aussi modifié: d'abord maîtres- ouvriers devenus profs sous contrat (pour les professeurs d'atelier), issus donc du prolétariat et fiers de l'être, ils seront ensuite recrutés par concours de l'E.N. et deviendront fonctionnaires, tout comme le sont déjà leurs collègues d'enseignement général (les PEG). Leur proximité avec le monde ouvrier explique leur attachement à la CGT qu'ils ont rejoint. Au sein du SNET et autour d'un noyau parisien d'anciens de la Résistance (Charles Artus...), ils fondent une section "Formation Professionnelle", à l'origine du futur SNETP-CGT.   

 

5. Plan Marshall, début de la Guerre Froide et nouvelle scission syndicale :

 

Après la Seconde Mondiale, la FGE (Fédération générale de l'enseignement CGT) qui compte dans ses rangs SNI, SPES, SNET (+ section FP), invite les personnels non enseignants des établissements scolaires à la rejoindre dans ce qui devient, en mars 1946, la Fédération de l'Éducation Nationale (FEN-CGT). Tout semble au mieux, les adhésions croissent... Mais, en avril 1948, une fraction minoritaire, réformiste, quitte la Confédération pour aller fonder Force Ouvrière (FO). C'est un des effets de la Guerre froide Est/Ouest et la jeune FEN doit choisir: va-t-elle rester CGT ou rejoindre FO? ...Les instits du SNI (3/4 des effectifs de la FEN), disent préserver l'unité corporative en refusant de choisir entre CGT et FO. Leur congrès décide l'autonomie (idée avancée par l'"École Émancipée", EE) ce que décide aussi le SPES ou SNES. La FEN devient donc autonome, "temporairement" (on espère réconciliation) : le corporatisme l'a emporté, mais il s'agit aussi de préserver quelques "services"de tradition amicaliste que la scission pourrait affaiblir: MAIF, MGEN, CAMIF... Néanmoins et à une écrasante majorité (191 mandats /194) le petit SNET-Formation professionnelle vote pour le maintien dans la CGT (les profs d'atelier fidèles à leur Confédération ouvrière interprofessionnelle ont su rallier leurs collègues PEG). Le Syndicat des agents ouvriers et employés fait le même choix: rester dans une FEN-CGT. 

 

La double affiliation, appartenir à la FEN-CGT et à la FEN autonome, restera tout de même possible jusqu'en 1954.Cette année là, le PC demande à ses militants enseignants - exceptés ceux des CET- de quitter la CGT pour rejoindre la FEN autonome, dans le but d'en renforcer l'esprit revendicatif qu’exprimera bientôt son courant Unité Action (UA) face aux courants gauchiste (EE) ou réformiste et majoritaire, UID (Unité, indépendance et démocratie).... 

 

C'est donc le SNETP des profs de la formation professionnelle qui portera seul, et pendant 40 ans, - jusqu'à l'apparition de l'UNSEN - les couleurs de la CGT dans le monde enseignant.

 

6. Quelques belles réformes d’après guerre, mais échec de la démocratisation de l’enseignement.   

La Libération fut une période favorable aux réformes. Et si le CNR (Conseil National de la Résistance) parvint à en imposer quelques-unes unes: nationalisations (Renault, EDF-GDF...), création des Comités d'Entreprise,  fondation de la Sécu (Ordonnance d'octobre 45)... c'est bien que ceux qui s'y opposaient avant sont discrédités. Le patronat et la Droite, qui n'ose plus se présenter comme telle, essaient de faire oublier qu'ils ont activement collaboré. Pour l'instant, les Résistants, les salariés ont la main et des textes capitaux sont donc adoptés. Ainsi, grâce à leur statut que le ministre communiste M.Thorez fait voter par les députés en octobre 1946, les fonctionnaires obtiennent-ils le droit de se syndiquer. Ainsi et la même année, la nouvelle Constitution garantit-elle l'égal accès de tous les enfants et adultes à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture (dans son préambule). Il est précisé aussi que "l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État". C'est dire que les gouvernements ont l'obligation absolue d'assurer la démocratisation de l'enseignement et que déroger à ce devoir est trahir la Constitution. Léon Blum l'avait déclaré dès 1937: "quand on parle d'enseignement obligatoire... on vise en réalité une obligation double: obligation pour l'enfant de recevoir l'enseignement, mais avant tout, obligation pour l'État de l'offrir»...  Durant ces années d'après-guerre la société connaît d'importantes mutations. La Reconstruction terminée ce sont les "30 glorieuses" d'une économie qui bénéficie de l'augmentation du nombre de consommateurs grâce à la croissance de la population française, effet du baby boom. 40.3 millions en 1946, 47 en 1962, les Français sont  52.6 millions en 1975, ce qui fait naître de nouveaux besoins (dans le domaine du logement, de la construction...). Ceci conduit, avec l'amélioration du marché de l'emploi (gros besoins en main-d’œuvre) et du niveau de vie, au développement de la scolarisation qui est aussi la réponse à une forte demande sociale. L'instruction est la clef de la promotion sociale et doit permettre à tous d'accéder aux emplois supérieurs (en 1959 la scolarité obligatoire est portée à 16 ans). Les effectifs scolaires gonflent irrésistiblement, et les établissements publics du second degré qui accueillaient 740 000 élèves en 1946-47 en reçoivent 1 818 000 en 1961-62 et près de 4 millions en 1975-76. Les Universités sont aussi concernées qui, les mêmes années, passent de 129000 à 232000 puis 806000 étudiants (les difficultés d'accueil seront une des causes de la révolte de 1968). On voudrait parler de démocratisation de l'enseignement mais... en 1968 justement, les fils d'ouvriers ne sont que 35.1% en 4éme, que 23.9% en Seconde et seulement 10.2% dans les facultés. Et pourtant, la France compte alors 46% d'enfants de famille ouvrière (recensement INSEE). Pour faire face à cet afflux d'élèves l'État doit prendre des dispositions sans précédents, et c'est la construction de nouveaux établissements, le recrutement de nouveaux professeurs: le CAPES est institué en 1950, le corps des PEGC est créé. Le budget doit donc être augmenté... il le sera insuffisamment ! 

 

7. La FEN « forteresse » lézardée de l’intérieur et inefficace.

 

Ces années là, de Guerre Froide, de bouleversements économiques et politiques majeurs (du passage de la IV° à la V° République, pour cause de Guerre d'Algérie...) sont aussi et on l'a vu, celles de scissions syndicales: CGT, FO et FEN autonome. Cette même FEN passe de 149 000 à 230 000 puis à 550 000 adhérents en 1949, 1953 et 1978, mais connaît  des problèmes en son sein: il y a lutte entre les tendances qu'une motion adoptée en 1948 a autorisées. Destinée à favoriser l'autonomie, cette motion Bonissel-Valière (du nom de 2 dirigeants: l'un de L'École libératrice - futur courant A -, l'autre du courant École Émancipée -EE-) permet aux enseignants proches de la CGT et membres du PC de rester à la FEN où ils constituent un 3em courant dit B (futur UA, Unité et Action). S'il y a bien des combats communs comme celui de la défense laïque qui conduit à la naissance de la Fédération des Conseils de Parents d'Élèves (FCPE: initiative du SNI en 1947) et aux belles manifs contre la loi Debré (de 1959), les batailles internes se succèdent. Lors du conflit algérien, la tendance A -future UID-, majoritaire et socialisante, favorable au maintien de la colonie" dans le cadre de la démocratie française", s'oppose aux courants B -UA et EE. Ensuite c'est la rivalité SNI (à direction UID) -SNES (dirigé pourtant par le même courant socialisant, jusqu'en 1967) sur la question  des cours complémentaires devenus Collèges d'Enseignement Général en 1959.

Les maîtres de ces CEG appartenant au corps des instituteurs adhéraient au SNI, jusqu'à ce que le gouvernement décide d'en faire, en 1969, des PEGC: Profs d'enseignement général de collège. Dès lors dans le second degré, qui va les syndiquer? Et la bataille fait rage entre SNI et SNES, surtout quand celui-ci passe sous direction UA. Viennent aussi les évènements de mai 68 et leurs suites, la conquête par UA du SNEP, du SNES, du SNES -Sup, les départs de militants trotskistes d'École Émancipée FEN vers FO. Les brouilles internes sont causes de paralysie et les conditions de vie et de travail des enseignants ne progressent guère. 

 

Dans les années 80 - période Mitterrand- la tendance est au vieillissement des syndiqués et surtout à la désaffection. Alors que rien n'est vraiment fait qui pourrait nuire aux gouvernements à direction socialiste et que la FEN se contente d'assurer des services (la tradition amicaliste !), l'opposition interne monte. En 1992, pour réduire cette opposition, la majorité UID prononce l'exclusion des deux principaux syndicats du secondaire: SNES et SNEP des profs de gym. Un an plus tard, tous deux fondent la Fédération Syndicale Unitaire ou FSU qui cultive le droit de tendances (les décisions doivent être prises par 70 % des mandats) et rallie l'ensemble des courants minoritaires de l'ex-fédération. La FSU fonde aussi le SNUipp qui ravit au SNI-PEGC sa 1er place dans le 1er degré. Entre temps, le Syndicat des Enseignants SE, toujours UID, s'est substitué au SNI et devient en 2000, l' UNSA Éducation à orientation très réformiste.

De son côté, la CFDT dispose depuis 1964 d'un Syndicat Général de l'Éducation Nationale, le SGEN, qui se veut concurrent de la FEN et bien connu pour se préoccuper surtout de questions pédagogiques. Après le mouvement social de décembre 1995, le SGEN perd du terrain et en 1996, une partie de son aile gauche le quitte pour créer Sud-Education. Quant au conservateur et corporatiste SNALC, fondateur en 1984 de la Confédération Syndicale de l'Éducation (CSEN), son implantation reste limitée au secondaire. Son principal objectif est de s'opposer à toute organisation qu'il juge de gauche et ses thèmes de revendication sont: retour aux valeurs hiérarchiques et limitation de l'accès aux études longues (élitisme). 

 

 

8. Et nous autres, p’tits gars et nanas de la CGT ?

Le SNETP-CGT, première organisation de l'enseignement professionnel jusqu'en 1969, mène de nombreux combats qui visent à l'amélioration des conditions de vie et de travail des personnels tout comme à la défense et au développement du Service public d'Éducation. C'est que les gouvernements de droite accélèrent les attaques contre l'École, profitent des divisions syndicales, de notre absence dans le primaire et le secondaire général ou technique ou bien, comme dans les CET puis LP, de l'existence de concurrents syndicaux anti-CGT. C'est le cas du SNETAA qui naît en 1948 d'une fraction ayant d'abord rejoint FO (le GISAL de l'Académie de Lille) avant de s'en détacher pour intégrer la FEN, et plus tard, de manière éphémère, la FSU. Le SNETAA  qui eut pour Secrétaire général  (1955 à 58) Pierre Mauroy,  futur 1er ministre de Mitterrand, bénéficiera aussi de quelques appuis une fois le PS au pouvoir.     

 

Cependant, en 1954 est tout de même achevé le processus de fonctionnarisation des profs techniques des Centres d'Apprentissage publics (jusque là contractuels) qui a longtemps fait débat au sein du SNETP: certains militants craignant que cette fonctionnarisation et les nouveaux modes de recrutement par concours et sur titres soient de nature à rompre les liens avec le monde ouvrier.

 

Viennent ensuite les années de lutte pour la réduction des maxima de service et l'égalité entre professeurs. En effet, la loi de février 1949 sur le statut de nos centres d'apprentissage distingue encore les enseignants généraux et techniques (PEG et PETT) des enseignants pratiques et fixe, pour les premiers 25 h et pour les seconds 40 h de service hebdomadaire alors que les Profs Techniques Adjoints - ceux d'ateliers- sont encore à 44 heures. En 1970 d'abord, les PEG et PETT passent à 21 h et, un an après, ce sont les horaires des PTA devenus Professeurs Techniques d'Enseignement Professionnel (PTEP) qui sont réduits... à 26 h: les inégalités continuent ! 

 

En décembre 1985 (Chevènement ministre de l'EN: l'homme des 80 % d'une classe d'âge avec le Bac), dans les ex-CET puis LEP puis LP, on s'apprête à recevoir des BAC PRO, les enseignants changent de nom, PLP1 et PLP2. Mais leurs horaires restent identiques. Et ne seront modifiés qu'à partir de 1989: en 1992 (c'est le passage à 18 h et 23h, mais avec 2 heures supplémentaires "dans l'intérêt du service") et surtout après les grèves de 2000 contre Allègre et sa Charte de l'enseignement professionnel intégré ( mise "au point" en accord avec le SNETAA). La vieille revendication du SNETP-CGT ("18 h pour tous!") est entendue- en partie- et en 2004, tous les PLP d'enseignement professionnel passent au même maxima horaire que leurs collègues du général, à 18 h donc (mais avec 1 h sup. dans l'intérêt du service).

 

Face au développement de la précarisation des personnels, à toutes ces attaques gouvernementales et patronales d'une part (contre les statuts, pour l'apprentissage dans le privé et de plus en plus tôt...) et à la désyndicalisation d'autre part (car SNETAA, FEN ou FSU réduisent le syndicalisme aux seuls services - individualisme- de tradition amicaliste), il faut réagir.

 

Puisque ces organisations sont incapables de protéger les acquis collectifs ou d'être forces de propositions, puisque de nombreux collègues qui appartiennent à d'autres corps que celui des PLP sont prêts à l'action et le font savoir, la CGT décide d'ouvrir son champ de syndicalisation à toutes les catégories d'enseignants. Nous sommes en juin 1992: l'UNSEN (Union Nationale des Syndicats de l'Éducation Nationale), rattachée à la FERC-CGT , va donc remplacer le SNETP.  Sa revue "le travailleur technique" (fondée en 1936) devient "Perspectives, Éducation, Formation", en mai 1993. 

 

Dans le même temps, les gouvernements multiplient les mesures contre l'enseignement professionnel public. Nos LP, devenus voie de relégation pour des élèves dont l'orientation se fait souvent par l'échec (un des effets de la réforme Berthoin de 1959) subissent la concurrence de LP privés mais aussi des CFA, Centres de formation pour apprentis dont l'État permet l'ouverture dès 1961, donnant ainsi satisfaction au patronat. Aujourd'hui, si les gouvernements libéraux cherchent à casser notre système public de formation professionnelle, initiale (LP), comme celle destinée aux adultes en formation continue (les GRETA), c'est l'École publique tout entière qui est menacée (la maternelle, la communale...). Il s'agit là, conformément aux directives de l'UE, aux vœux du MEDEF, de réduire les dépenses de l'État, réduire donc les moyens des Services publics et de modifier leurs missions, de favoriser les officines privées de formation en leur offrant un énorme vivier de "clients" jeunes ou moins jeunes. Ainsi nos élèves en difficultés - issus des milieux les plus défavorisés, bien entendu! - sont-ils poussés,"chair à patron", vers l'apprentissage sans qu'ils puissent recevoir un réel enseignement, complet. Ainsi supprime-t-on des filières de formation adultes dans les Groupements d'Établissements. Ainsi, y a-t-il aussi réduction du nombre de postes aux concours d'enseignement, non remplacement de tous les départs en retraite. Mais cela ne suffit pas et certains rêvent encore d'en finir avec les Statuts et garanties de tous les personnels enseignants pour les rendre flexibles et dociles (projet du ministre De Robien, fin 2006)...

 

Ces dernières années les attaques ont été rudes: les militants CGT ont été de toutes les batailles (fin 1995, contre le plan Juppé des retraites; en 2003 contre la décentralisation et la marchandisation des Services façon AGCS) et ont pris part à quelques succès (contre le traité constitutionnel européen et pour le NON au référendum; ou en 2006, contre le Contrat Première Embauche: le CPE anti-jeune que De Villepin devra retirer)...  

 

Renforcer l'UNSEN est donc une nécessité pour faire barrage aux projets de casse et imposer une autre politique pour l'École.

 

 

En adhérant dès 1907 à la Confédération Ouvrière les enseignants de la CGT ont fait le choix de la solidarité avec tous les salariés contre le corporatisme. Pour eux, et aujourd’hui comme hier, on ne peut changer l’École sans être porteur d’un projet de transformation sociale, sans situer l’action dans le cadre du mouvement interprofessionnel.  

 

« Si vous pensez que l’éducation coûte cher,

essayez l’ignorance ! » (un ancien président de Harvard)

 

« l’ennui, c’est que nous négligeons

le foot au profit de l’éducation » (Marx… Groucho)